Littératures française et francophones

Fil des billets - Fil des commentaires

samedi, février 16 2013

Comme on respire - Jeanne Benameur

   J’ai appris à habiter le souffle qui sortait de ma bouche.
   Cela s’appelle habiter une langue. C’est mon asile sûr. Celui où je me sens vêtue.
   J’entre dans un mot comme au creux d’une grotte creusée par d’autres, où je peux vivre, moi aussi.
   C’est cela une langue maternelle. C’est une maison qui accueille. Vous pouvez nicher tranquille. Et c’est immense.
   Ça n’a pas de frontière.
   Il suffit d’apprendre. Comprenez. Apprendre peut être une merveille.
   La langue ne vous demandera jamais votre carte d’identité. Elle est là, disponible dans la bouche de ceux qui vous parlent. Et chacun de nous peut.

 ***

   J’ai vu de vieilles femmes admiratives des mots qu’elles ne roulaient pas sous leur palais, habituées à d’autres sons. Intimidées. Puis avec un  petit rire, la main légèrement posée sur les lèvres, s’essayant à la nouveauté de la langue inconnue.
   C’est naissance.
   C’est joie.
   C’est grande joie.
   Les sons passent d’une bouche à une autre bouche.
   On sourit. On rit. On se trompe. On est heureux. On recommence.

   Celui qui sait trouver asile dans une langue a trouvé un pays où être chez soi. Il en est l’habitant. Personne ne vous expulsera jamais d’une langue.
   C’est comme ça.
   Et aucune loi n’y fera rien.
   J’en suis convaincue et heureuse.
   La liberté est là. Personne n’en tient de fichier.

 

Ce sont deux poèmes de Comme on respire, de Jeanne Benameur, un joli petit livre violet, chez Thierry Magnier. Il y a dans ce mince recueil, dense, généreux, une sorte d’âpre humanisme militant, que j’estime infiniment, même si je trouve que son expression explicite, jusque dans les deux poèmes cités, fêle l’intensité du propos. Mais il y a aussi cette réflexion sur les mots et la langue, sur la nécessité de dire, d’écrire envers et contre tout. Sur la liberté des mots, dans les mots. Alors, voici.

mardi, février 12 2013

" Quelle mâle gaieté, si triste et si profonde..."


J’ai attrapé au vol, hier, dans l’émission Les Traverses du Temps de Marcel Quillévéré sur France Musique, cette jolie tirade sur le rire, dite par Roland Giraud, qui joue Alex, le nouveau Philinte d' Un Homme trop facile ? la comédie d’Eric-Emmanuel Schmitt :

« Ne riez pas, parce que votre rire n’est pas le mien. Votre rire blesse, condamne, méprise, un rire plein de vilaines humeurs ! tandis que moi, mon rire, il nous rapproche. Lorsque je m’esclaffe, je ne juge pas, je ne dénonce pas, je compatis, je m’attendris. Je ris de nous, des pauvres êtres maladroits et bornés que nous sommes. Mon rire ne m’exclut pas de l’humanité, il m’y plonge. C’est un rire plein d’affection. Il y a de la sagesse et de l’amour dans mon rire, dans le vôtre seulement de la distance et du mépris. »

Alceste est à la mode. Il est à bicyclette au cinéma, et c’est Philippe Le Guay – toujours pas vu, mais à Amiens, il faut viser, un jour sur deux à 17 heures –, il est à l’affiche au théâtre, bientôt aussi à Amiens, et encore à la Gaîté Montparnasse, où se joue Eric-Emmanuel Schmitt.

Je m’en réjouis. J’adore Le Misanthrope, j’adore cette comédie si élégante, si cruelle, si douloureuse, si cocasse. J’aime l’âpreté sincère d’Alceste, qui cède à l’occasion devant le fat Oronte (« Je ne dis pas cela » ...) avant de lâcher la bride à son ire, j’adore sa tirade sur le naturel avec « sa petite chanson ringarde » comme l’avait écrit il y a bien longtemps l’une de mes élèves. Je l’aime jusque dans sa muflerie répétée, avec Célimène qu’il ne cesse de quereller, qu’il assomme de leçons de comportement, qu’il soupçonne explicitement – hélas avec raison – , comme avec la gracieuse Eliante à qui il vient abruptement offrir les restes de son cœur dans un accès de dépit, avant de se dédire. Une chose me heurte : que jamais il n’appelle Philinte par son nom, que jamais il n’en reconnaisse l’amitié opiniâtre. J’aime sa classe, et ses ridicules, et cette hubris ou cette mania de la sincérité qui le font épingler à tous coups, et plus que tous par Célimène. J’adore la délectable scène de duel verbal entre Célimène et Arsinoé, où la vilaine prude se fait suavement déchiqueter par celle qu’elle a eu le tort de venir provoquer jusque chez elle. J’aime la composition et le rythme savant de cette comédie, la plus grande, la plus belle, la plus triste.

dimanche, février 3 2013

C'est la Saint Blaise, me dit "orange"

Célébrons-la, en couleurs.

13. Aux 5 Coins

Oser et faire du bruit
Tout est couleur mouvement explosion lumière
La vie fleurit aux fenêtres du soleil
Qui se fond dans ma bouche
Je suis mûr
Et je tombe translucide dans la rue

Tu parles, mon vieux

Je ne sais pas ouvrir les yeux ?
Bouche d'or
La poésie est en jeu

                                                                     Février 1914

Blaise Cendrars - Dix-neuf poèmes élastiques

Chagall - Esquisse pour Commedia dell'arte (1957-58) Collage avec encre de chine, huile, pastel et papiers collés.

Deux poèmes saisis au vol

Je retranscris le texte qui suit à l’écoute, différée, d’une émission  de Sophie Nauleau, sur France Culture, « Ça rime à quoi ». La poétesse invitée est Michèle Finck, que je ne connaissais pas. Qu’elle veuille excuser, si elles sont erronées, la disposition et la ponctuation très classiques du texte de prose-poème qui suit. A lire en respectant les blancs, les souffles, les silences entre les mots, tels que les revendique cette poétesse à la douce voix concentrée, fervente, violemment retenue dans ce qu’elle appelle « la scansion du noir », « conversion de la perte, conversion de la violence en quelque chose qui est de l’ordre du rythme », « comme si rythmer le noir rendait le noir plus supportable » - et partageable avec le lecteur.

          Mademoiselle Albatros

 Je suis dans le pavillon un peu délabré de l’hôpital psychiatrique de la ville de S*, en France, près de la frontière allemande. Je marche en suivant les spirales aseptisées des couloirs à côté du psychiatre, le docteur H., d’origine germanique. Soudain, nous longeons une chambre d’où s’échappent quelque chose comme des cris ou des couinements d’oiseau blessé. Sur la porte de la chambre, il y a un nom, mademoiselle Albatros. Comme je regarde le psychiatre d’un air interrogatif, il me dit :

-          « C’est une femme à qui la poésie est montée au cerveau. Elle se prend pour l’oiseau d’un poète de votre langue, un certain Bidenler. Elle murmure sans cesse les mêmes mots : ‘Ses ailes de géant l’empêchent de marcher’, et en effet, elle ne peut presque plus marcher, sauf à tous petits pas, dans sa chambre, en trébuchant. Parfois, elle agite les bras, de façon gauche, comme pour s’envoler. L’hiver, elle mange un peu de neige, sur le rebord de sa fenêtre grillagée.

-          Baudelaire ! » dis-je en portant la main à mon cœur, comme si la façon dont ce médecin germanique avait écorché ce nom m’avait atteinte au centre de mon être. Puis tout à coup, brûlant tous mes vaisseaux, presque malgré moi, je crie : « Cette femme, mademoiselle Albatros, c’est moi ! cette chambre, c’est la vie ! ouvrez la porte, les fenêtres, crevez le plafond, éventrez les murs, laissez-la s’envoler, elle a le crâne tatoué d’étoiles filantes...

-          Ne vous emportez pas, dit le psychiatre, j’ai des cas beaucoup plus intéressants à vous montrer. Celui-ci est un peu passé de mode, ne trouvez-vous pas ? mais peut-être est-ce assez pour aujourd’hui ? ».

Et puis celui-ci, encore, avec ses silences tels que je les ai entendus.

De givre et de feu

 

Père et fille touchent du doigt le givre
de la musique
sur les mots et les ronces
ils écoutent les sons s’ouvrir devant eux
comme des livres
aux enluminures invisibles mais audibles

 

la fiancée du vent
neige

père dure peu
fille l’épèle
dans le noir et prend feu
fait pousser des étoiles dans la poussière
parle avec les lèvres suturées du père
à l’intérieur d’elle
écrit à deux bouches
mots brûlés vifs dans le haut-fourneau du cri

fille fera neige avec un peu de feu

 

Voilà pourquoi je me suis risquée à transcrire ces deux très beaux poèmes, extraits du recueil Balbuciendo.

dimanche, janvier 27 2013

La neige incertaine ...


Tout a fondu aujourd’hui, et le paysage a perdu cette beauté que lui donnait la blancheur continue de la neige, qui unifie jusqu’aux laideurs. Désormais « la couche de neige ... fond et se transforme en une insupportable soupe pendant quelques jours »  - c'est ce que se dit le gamin, réveillé dans la maison du médecin, à Sléttueyri, de son interminable chute. Quant à moi, je me suis laissée dépasser par le temps, mais depuis les premiers et abondants flocons m’accompagne le poème de Verlaine qui suit (appris il y a si longtemps, au CM1, école de la Figone, à Marseille, dans la classe de Mme Margat), lequel accompagne a punto « La Neige », le tableau de Daubigny dont j’emprunte au Musée d’Orsay la reproduction d’ensemble et de détail, avec ici le commentaire 

Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.

Comme les nuées
Flottent gris les chênes
Des forêts prochaines
Parmi les buées.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la Lune.

Corneille poussive
Et vous, les loups maigres,
Par ces bises aigres
Quoi donc vous arrive?

Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable

Paul Verlaine – Romances sans paroles (1874)

 

En ces temps de neige, du 'Domaine des murmures'...

Je n'ai pas lu Du Domaine des Murmures. Mais puisque Anne d’Évry, fidèle commentatrice des billets de ce blogue, en a déposé un commentaire, et que je me suis montrée bien peu prodigue en billets ce mois-ci, je le colle ici, pour qu'il soit accessible à tous. De Carole Martinez, j’avais lu, avec plaisir malgré quelques longueurs, Le Cœur Cousu. Voici le message d'Anne :

"Je ne sais, Agnès, si depuis ce coup de gueule, tu as lu Du domaine des Murmures.
Je viens de le lire suspendue au fil des pages. La très jeune et très belle Esclarmonde vit recluse dans une cellule accolée à la chapelle du château, où son père le sieur des Murmures l'a enfermée après qu'elle a refusé le mariage. Elle a pris le Christ pour époux, ou presque.
Cette histoire narrée par la victime (?) grouille de vie, de personnages, d’imagination, et de très beaux paysages. Nos naviguons en plein Moyen-Âge, entre château en Franche-Comté et Croisade en Terre Sainte. La foi voisine croyances et féeries (nous sommes dans le pays de la Vouivre).
Pas une fausse note dans cette écriture recherchée qui m’évoque les plus belles partitions de musique."

Merci, Anne!

Pour ma part, j'ai dévoré le troisième volet de la trilogie de J. K. Stefansson, Le Cœur des hommes, qui complète, enfin ! l’épopée en trois volumes des aventures du « gamin », depuis le voyage sous le signe de Milton, et la perte de Bardur, son alter ego, en passant par l’interminable traversée de l’hiver derrière le dos du postier Jens. Jusqu’à ce que tout et chacun trouve une place. J’en parle le plus vite possible.

samedi, janvier 26 2013

Un poème


Arbre

Je suis un arbre voyageur
mes racines sont des amarres

Si le monde est mon océan
en ma terre je fais relâche

Ma tête épanouit ses branches
à mes pieds poussent des ancres

Loin je suis près des origines
quand je pars je ne laisse rien
que je ne retrouve au retour

Frédéric-Jacques Temple

lundi, janvier 7 2013

Puisqu'on parle de con-trepets...

Farfouillant dans mon rayon Queneau, d’ailleurs scandaleusement dégarni, j’ai retrouvé dans le numéro 150-11 de la revue Temps Mêlés, février 1981, cet hommage de François Caradec à Queneau :

               Hommage à Raymond Queneau

 Si j’ouvre ma fenêtre et monte à mon balcon
                     je vois passer les cons
      c’est aujourd’hui dimanche et c’est le jour pour qu’on
                     ne rencontre que cons
              qui toute la semaine ont tissé leur cocon
                     tel est le lot des cons
              c’est le péché d’Adam qui les rend si féconds
                     travailleurs pauvres cons
              dominicalement ils sortent rubiconds
                     de leurs tablées de cons
              la parole facile et leur esprit facond
                     ils prennent un air con
              pour parler de l’hiver si fertile en flocons
                     qui neigent sur les cons
              évoquant la biture où vidant les flacons
                     une bande de cons
              ricanait en citant les poètes abscons
                     ce sont bien les plus cons
              dont les muses jamais n’ont connu l’Hélicon
                     mais ont un si beau cul.

En distiques que nous hésiterons, malgré Ovide, à qualifier d’élégiaques. « Sarcastiques » serait sans aucun doute plus... congru.

Occasion, pour moi, de rendre hommage à Caradec, amateur sourcilleux de contrepets réguliers, comme à Queneau.

J’y ajoute, issus du même numéro, un souvenir, du même Caradec, autour de « R.Q. »,
et une hypothèse « anthroponymique » qui, je l’espère, ne manquera pas de réjouir les lecteurs des aventures de Sally Mara, grande sœur, passablement extravagante, de Zazie.

samedi, janvier 5 2013

Balzac - Pierrette

Drôle de roman – de novella, plutôt – que Pierrette de Balzac. C’est le premier volet du triptyque des Célibataires, et si les deux autres sont du même tonneau, il n’y a certes pas de quoi s’esbaudir. Le début est mortel. Après la charmante scène liminaire où le jeune Jacques  Brigaut réveille Pierrette en lui chantant une « chanson de mariée » de leur Bretagne natale, Balzac se lance dans des pages d’explications généalogico-économiques. Mais l’ignorance où l’on est des personnages et des situations a pour double effet d’égarer (quasi impossible de s’y retrouver sans un crayon) et de susciter un profond ennui. Les choses s’améliorent pour le lecteur persévérant avec l’entrée des deux horribles Rogron, les « célibataires » : la sœur aînée, Sylvie, le frère, Jérôme-Denis, de merciers parisiens revenus en leur Provins natal asseoir leur position dans la société et pompeusement restaurer leur maison de la place.

Ces deux  hideux imbéciles, aussi secs de cœur et d’intelligence que laids de physionomie, habilement manipulés par le machiavélique avocat libéral Vinet – la « scène » se déroule entre 1827 et 30, au moment de la chute du ministère Villèle, jusqu’à l’instauration de la monarchie de Juillet – vont jouer pour la malheureuse Pierrette, leur gracieuse demi-cousine bretonne, le rôle du plus sinistre des destins. 



                             Guido Reni - Portrait de Béatrice Cenci

Lire la suite...

jeudi, janvier 3 2013

Maurice Dekobra - La Madone des Sleepings

« Un chroniqueur parisien m’a même surnommée La Madone des Sleepings... Sleepings avec un s, ce qui est un barbarisme anglais, à moins que vous n’ayez déjà annexé ce vocable d’outre-Manche ? et Madone avec un grand M, ce qui est un euphémisme plein d’ironie, puisque j’ai peut-être le profil d’une madone, mais n’en ai plus les attributs... »

J’aurais pu commencer l’année avec une lecture plus... reluisante. Mais j’avais sous la main La Madone des Sleepings,  pas très envie de me fouler les méninges, et ce titre est, en soi, un chef d’œuvre. Et puis, c’est un genre de classique !

J’ai donc lu La Madone, avec le sourire. C’est un roman de 1925, et je verrais volontiers dans le marivaudage érotico-sentimental et les aventures politico-amoureuses de Lady Diana Winham et de son secrétaire-confident-sigisbée et néanmoins narrateur du roman Gérard Dextrier, prince Séliman, entre Londres, Berlin, la Géorgie soviétique et l’Écosse, une sorte de contrepoint mi-sérieux, mi-parodique à La Garçonne. On y voit, aussi, une femme libre et mondaine s’adonner sans honte ni embarras à tous les plaisirs du corps. Mais sans les précautions psychologiques ni la prétention réaliste, et en somme sans les ambitions littéraires du roman de Margueritte. Ici, l’auteur - fin lettré et il ne loupe pas une occasion de souligner ses pastiches stylistiques – s’amuse, accumulant métaphores et périphrases homériques, à la Willy, à la Pierre Dac, à la blague, à la française. 

Lire la suite...

lundi, décembre 31 2012

Barlen Pyamootoo - Salogi's

« Je m’enfermais souvent dans ma chambre pour lire tous les livres qui passaient à ma portée, à commencer par ceux que mon frère et ma sœur aînés étudiaient au collège. Je me souviens du Silence de la mer de Vercors que j’avais du mal à déchiffrer car j’ignorais tout de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation de la France par les Allemands, mais les personnages m’ont touché par leurs gestes à peine esquissés et par leurs paroles en suspens. Et quand j’avais épuisé les livres de la maison, je traversais la cour pour emprunter des romans policiers et d’aventures à mon cousin Vinod.

J’ai cette chance d’avoir beaucoup lu dans mon enfance et mon adolescence, et de porter en moi des histoires qui, encore aujourd’hui, m’obsèdent, m’éreintent, parfois me brisent, des personnages étranges et vaguement effrayants qui appartiennent à des époques révolues et habitent à jamais des pays inconnus, mais dont le corps et la voix pourraient être miens. J’ai eu aussi la chance d’être nourri par tant de langues différentes : le créole, ma langue maternelle, mon substrat ; l’anglais et le français à l’école, sauf dans la cour de récréation où rayonnait le créole ; le tamoul que j’apprenais également à l’école mais qui appartenait surtout aux cérémonies religieuses ; le bhojpuri, une langue indienne courante à la campagne, dans laquellle mon père et ma mère conversaient ; et d’autres langues encore qui me parvenaient sans écho d’une boutique chinoise, de la radio ou d’une salle de cinéma. Et c’était devenu un jeu avec ma grand-mère paternelle de lui parler avec l’accent bhojpuri dans un jargon qui empruntait ses mots à toutes les langues qui m’imprégnaient. Les histoires que je lui racontais étaient trop confuses pour avoir du sens, même si l’intonation était juste, et douce comme l’air d’une vieille chanson indienne, et ma grand-mère qui n’arrêtait pas de pouffer de rire en écoutant mon babil, peut-être parce qu’il éveillait chez elle des souvenirs d’enfance. »

Du Silcnce de la mer, l’auteur de ce « livre de ma mère » a gardé la sobriété absolue, pour évoquer avec une retenue pleine d’amour et de simplicité le souvenir de sa mère morte écrasée par un bus. Bribes de sa vie, contée par elle-même dans le cahier qu’elle écrivit après avoir appris à lire et à écrire, ou retrouvée en brefs éclats par le fils, l’un de ses neuf enfants, entre l’île Maurice peu à peu vidée de toute vie traditionnelle par la pauvreté galopante, et la France - Strasbourg d’abord - terre d’accueil. Il y a un très beau passage, sur l’accueil réservé au narrateur adolescent au lycée, le voici:

Lire la suite...

samedi, décembre 1 2012

Julia Deck - Viviane Elisabeth Fauville

Prêté par Andrée, merci à elle, et lu quasi d’une traite entre T.G.V. Montauban – Paris (en mode sardines), le métro, (mode compression maximale) et le T.E.R. Paris - Longueau (mode exode entre Paris et Creil). Une bonne heure de lecture, à la fois séduite et perplexe.

     Elle est Viviane, qui a quitté son mari Julien, emportant pour ne pas être celle qui se faisait plaquer leur fille nouvelle-née - élégante quadragénaire en congé du service comm’ des Bétons Biron. Elle est Elisabeth, qui fouine dans les marges de l’enquête autour de la mort du docteur Jacques Sergent, son psychanalyste, poignardé. Elle est Fauville, fauve égaré à travers la ville, comme elle est, encore, épouse Hermant en ses errements, Elisabeth qui erre et ment. Car si Viviane se pose parfois dans tel ou tel café, ou dans son petit trois-pièces de la rue Cail du haut duquel les croisements insensibles des voies ferrées lui tiennent lieu de paysage mental, l’essentiel du roman la suit, Viviane ou Elisabeth, parcourant interminablement les mille et un trajets qu’offrent en surface les rues de Paris et en sous-sol les couloirs du métro. Itinéraires pleins de clins d’œil, de la rue de la clef (22bis) où habite le Dr Sergent, à la rue Louis-Braille ou à celle du Pot-de-fer, encore.....

Il y a Julien, qui a trahi, et, au commissariat, l’inspecteur Philippot (de fer ? ^^), si séduisant, et l’épais commissaire Bertrand. Il y a la rousse Angèle et la Russe Gabrielle aux noms angéliques, messagères ou destinataires de quelles vérités ? Il y a sa mère, fantomatique, et sa fille, étrangement paisible et silencieuse...

Railleuse, goguenarde, sardonique, l’autrice entraîne dans les pas de son personnage un lecteur captivé, perplexe, égaré. Car qui est qui ? dans ce récit où les « personnes » des pronoms varient sans cesse pour renvoyer à la même « personne » : Viviane Elizabeth Fauville, successivement  ou quasi simultanément «vous», «elle », « je », « tu », voire « on » et « nous ». Toute la conjugaison, à l’exception d’un « elles » qui en quelque sorte résumerait cette personnalité labile, multiple, incertaine... Un problème de sujet, en somme.

C’est brillant, érudit, virtuose. Je n’ai pas lâché le roman avant de l’avoir terminé. Mais la fin, tout de même… la fin a quelque chose de sadique… et m’a laissé sur un suspens, inconfortable.

C'est chez Minuit, et c'est un premier roman.

dimanche, novembre 18 2012

Victor Margueritte - La Garçonne

La Garçonne, de Victor Margueritte. Emprunté(e) à la B.M., puis lu(e) en vitesse  dans un intervalle du Temps de l’innocence d’Edith Wharton, avant de le passer à deux de mes élèves pour cause de T.P.E. Je n’en connaissais que le parfum de scandale.

- Très éventé, ma foi. C’est un roman antipathique. Du post-Zola, avec une intention polémique et didactique très marquée, et pas un personnage pour lequel on puisse éprouver quelque sympathie tant ils relèvent tous de la charge, de la caricature ou de l’allégorie. Il y a donc Monique (dont je crains fort que la rime ne soit délibérée, on rencontre bien aussi un gynécologue nommé Hilbour !!!), née avec le siècle, élevée avec tendresse, le souci de la santé du corps et de la sincérité du cœur par sa vieille tante célibataire, tante Sylvestre, sur les rives de la Méditerranée, loin de ses parents richissimes et indifférents. L’évocation de l’enfance ne manque pas de justesse, et donne au personnage de Monique une certaine épaisseur dans la détresse, la joie de vivre ou la tendresse. Jusqu’à son retour dans le Tout-Paris de l’après-guerre, où elle s’éprend du beau Lucien Vigneret, justement le parti qui convient, pour affaires, à son père. Las, Lucien n’est qu’un viveur insincère, et après l’avoir plaqué de façon retentissante, Monique se lance seule dans la vie. Elle ouvre un magasin de décoration avec lequel elle s’impose comme l’un des esprits du temps, en même temps qu’elle se jette méthodiquement dans l’exploration des plaisirs de la chair : femmes, hommes, drogues, partouzes, dégringolade et dépressions. Moyen pour l’auteur de vilipender l’hypocrisie bourgeoise, si ce n’est que l’entreprise relève plus du potin égrillard à la Willy que de la verve assassine. Taraudée par le désir d’un enfant qui donnerait sens à sa solitude et à sa féminité, Monique finit par trouver un apaisement momentané dans une liaison avec l’écrivain Régis Boisselot, une sorte de faune athlétique et rageur, rattrapé par une jalousie rétrospective qui aura raison de leur amour.  - Régis, parce qu’il veut commander… Reste Georges Blanchet, héros de la guerre et ex-théoricien du mariage et d’une relative égalité des sexes, qui apportera à Monique, dans les circonstances dramatiques requises par le genre romanesque, l’amour et l’équilibre tant recherchés.

Lire la suite...

mardi, octobre 30 2012

Patrick Chamoiseau - Antan d'Enfance

J’ai lu, aussi, la semaine dernière, dans la même collection « Haute Enfance » chez Gallimard, Antan d’Enfance, de Patrick Chamoiseau. C’était la première fois que je lisais un texte de cet auteur au nom poétique et chatoyant, et qui depuis longtemps, me faisait signe. Les extraits que j’en ai tapés font un écho singulier à la lecture – postérieure – du roman d’Alexakis. La langue est belle et charnue, avec cette étrangeté à la lecture de ne pas tout reconnaître dans les vocables parfois inassignables ou insaisissables de ce français d’ailleurs, lyrique, inventif, suggestif. En voici quelques extraits :

La maison de l’enfance, cœur battant de tous les souvenirs :

« O mes frères, vous savez cette maison que je ne pourrais décrire, sa noblesse diffuse, sa mémoire de poussière. De la rue, elle semblait un taudis. Elle signifiait la misère grise du bois dans un Fort-de-France qui commençait à se bétonner les paupières. Mais pour nous elle fut un vaste palais, aux ressources sans saisons, un couloir infini, un escalier peuplé de vies comme une niche de crépuscules, une cour, des cuisines, des bassins, des toits de tôles rouillées où nous découvrîmes le monde en de secrètes magnificences. Située au mitan de la ville, elle nous filtrait la ville. Elle savait allier les lumières et les ombres, les mystères et les évidences. La tiédeur de son ancienne sève s’exhalait parfois dans le silence des jours de messe. Elle porte encore nos griffes et nos graffitis, elle a nos ombres dans ses ombres, et me murmure encore (mais des choses maintenant incompréhensibles) quand j’y pénètre parfois. »

Lire la suite...

Vassilis Alexakis - L'Enfant grec

Divagation mentale, errance intérieure, vagabondage littéraire intime…. Comment qualifier le dernier « roman » de Vassilis Alexakis ? Le mot « roman », il faut le trouver, est inscrit en tout petit dans le coin droit de sa sobre couverture bleu sombre. Appuyé sur ses béquilles de convalescent, de retour de l’hôpital d’Aix-en-Provence où il a séjourné après l’opération d’un anévrisme, l’auteur, (le « je »), incapable de monter les cinq étages sans ascenseur de son studio parisien, habite provisoirement l’hôtel Perreyve, rue Madame, près du Jardin du Luxembourg. Sa démarche, entravée par l’accident et ses béquilles, libère en quelque sorte une déambulation sinueuse à travers les lieux réels et rêvés qui servent de cadre à ses promenades et à sa mémoire. Au passé grec dans le jardin et la remise de Callithéa, où à travers leurs lectures de Dumas, Verne ou Stevenson, il rêvait avec son frère et ses camarades une vie d’aventures, sa conscience juxtapose le présent et le passé des hôtes du Jardin et du Sénat tout proche.
On croise donc dans les allées du jardin et de l’imaginaire Jean Valjean et Cosette, réincarnés en M. Jean, justement, bibliothécaire en retraite du Sénat, et sa nièce aux yeux toujours baissés, les très romanesques marionnettistes du petit théâtre de Guignol, Odile et sa sœur Georgette, le vagabond Gnafron-Ricardo-Karaghiozis. Il y a des garçons de café, une dame pipi, des clochards et des princesses, la Mort avec sa robe blanche et ses pattes de poule à moins que ce ne soit un casque de motard, un cyprès insaisissable. Sous le Paris de la surface, il y a aussi l’ancien Paris tout de galeries et de couloirs d’égouts, que parcourent les étudiants de l’Ecole des Mines et les « cataphiles ». Les Enfers de la ville, en quelque sorte, à portée de bouche d’égout. Il y a des enfants abandonnés – le Rémi d’Hector Malot qui a fasciné mon enfance -, une plantureuse et séduisante dame de bronze assise sur un banc devant l’Institut Culturel Hongrois, les fils et le neveu de l’auteur, son frère mort, la duchesse de Berry en ses débauches, Polichinelle / Pulcinella et Marie de Médicis, Tarzan et Georges Azur, résistant grec…. Tant d’autres, et encore la Grèce natale ostracisée en plein cœur de l’actualité européenne, et les Compagnons de la Nuit, qui ouvrent aux errants et aux égarés leur local, rendez-vous de toutes les solitudes, où l’on parle et où l’on écrit.

Il y a dans cet Alexakis nonchalant, hypocondriaque et habité par tous ses « locataires chimériques » quelque chose du portrait de Marcel Aymé par Topor. Quelque chose de Queneau, aussi, ne serait-ce qu’à cause du finale du roman dont je ne dirai rien. Une sorte de monde où toute frontière semble abolie, dans l’architecture du récit comme dans la syntaxe même de la phrase. Et puis Hugo, bien sûr, dont le roman tire son titre. Loin de la claudication béquillarde du narrateur, la lecture va, fluide, accompagnée in petto par la voix douce, languide, un peu nasale, exotiquement accentuée de Vassilis Alexakis, ex-papou canal historique, dont tant de fantaisies burlesques m’ont fait, autrefois, rire aux éclats.

30/10 : Je lis que V.A. fait partie des "écartés" de la liste Goncourt. J'espère qu'il s'en fiche. Mais j'en suis désolée pour lui.

lundi, octobre 29 2012

Pause littérature jeunesse

Je n’ai pas pour habitude de lire de la littérature jeunesse. Mais j’avais emporté dans le train Brise-Glace, de Jean-Philippe Blondel, prêté par Françoise. L’histoire d’une rencontre, celle d’Aurélien, dix-sept ans, en première L, qui s’efforce avec quelque succès de rester transparent aux yeux des autres. Jusqu’à ce que Thibaud, le séducteur de la classe, vienne le forcer dans ses douloureux retranchements.

C’est une histoire d’adolescents, d’amitié, de slam aussi, univers qui ne m’est pas très familier, évoqué ici avec le regard d’un observateur bienveillant. L’auteur est prof, on le sent à quelques notations ici ou là sur le rythme de la poésie anglaise, par exemple, mais je l’ai reconnu en un éclair en voyant passer la salle G 229, clin d’œil autobiographique à un ouvrage, pour adultes, du même auteur, que j’avais entendu parler à la radio et que Jérôme, un jour, avait évoqué avec chaleur. Et en effet, ce bref roman est écrit et composé avec talent.

dimanche, octobre 21 2012

La Lune dans le rectangle du patio - Régine Detambel

C’est Martine Rassineux qui a cité Régine Detambel parmi les auteurs qui l’inspiraient dans son travail sur l’enfance. Avec qui, même, elle a travaillé autour d’une réflexion sur la rythmique des jeux d’enfants. Avec l’expo, il y a tout un éventaire de livres sur le sujet à la BM, dont nombre de la collection « Haute Enfance », chez Gallimard – très joli titre de collection. Alors comme les bouquins que je veux emprunter sont toujours dehors, j’ai pioché dans la sélection. La Lune dans le rectangle du patio. En brefs chapitres qui sont autant de fragments se construit en quelque sorte le thriller d’une psyché enfantine. Au cœur d’une vie de petite fille, ce rectangle d’eau croupie du médiocre patio familial où se reflète la pleine lune, seul reflet dégradé du ciel dans sa chambre sous une avancée de toit. Éclats d’une vie familiale populaire, années 60, avec gifles faciles, secrets des parents épiés par les trous de serrure ou un conduit d’aération, téléphone gris marqué par les traces minuscules et écœurantes des corps, pellicules, rouge-à-lèvres, projections alimentaires dans la grille…. Et puis il y a la disparition inexplicable de Trop-se-mêle, sorte de double audacieuse, binoclarde, disgracieuse de l’enfant narratrice. Avec tous les bouleversements qu’entraîne cette disparition : enquête policière, installation de la mère et du frère de Virginie-Trop-se-mêle sur le canapé du salon pour cause de proximité du téléphone… tout le tissu incohérent de la vie prend alors sens autour de cette quête qui, pour être vaine, n’en colore pas moins les plus menus épisodes du quotidien. C’est l’écume d’une enfance qui s’exprime ici, grasse, hybride, hétéroclite, « louche », étoilée de quelques bribes de merveilles, achevée sur un suspens.

Régine Detambel a été papoue, il y a bien longtemps, à la fin du siècle dernier, sans doute.

Elle a un site, beau à regarder (j’y ai fait à peine un tour), organisé, plein de propositions, de textes d’elle et des autres. Une puissante réflexion aussi, semble-t-il, sur le(s) corps.

lundi, octobre 15 2012

Petit miracle de l’herméneutique modeste….

L’atelier de Vincent Josse, c’est souvent un moment de découvertes, artistes de tout poil, connus ou inconnus.

Samedi dernier, c’était Jacques Ferrandez, né en 1955 à Alger (un pays), illustrateur, et auteur d’un vaste cycle de Carnets d’Orient sur la période coloniale, avant la guerre d’Algérie, puis sur l’Algérie de la guerre. Un type chaleureux, pas idéologue pour un sou, passionné.

Bref, Jacques Ferrandez est en train de mettre en images L’Etranger de Camus (entreprise ambitieuse et pleine d’embûches, car comment rendre cette écriture blanche ?).

Quoi qu’il en soit, voilà l’illustrateur confronté à une question pratique : Lorsque Meursault se rend au cinéma avec Marie, le jour de la mort de sa mère, il va voir – et rire à - un film de Fernandel. Lequel ? Camus écrivait L’Etranger en 1938 : quels sont en 1938 les films de Fernandel ? Wikipedia en donne six, parmi lesquels Ferrandez en a cité deux : Barnabé, et Le Schpountz, de Pagnol.

Le Schpountz, où Irénée Fabre, le commis épicier, manifeste pour la première fois devant un public de gens de cinéma goguenards son talent de comédien. Comment ? en se livrant à un pur exercice de style à la Queneau, réciter sur différents tons – y compris « comique » - un article du code civil. « Le plus court et le plus net, je dirais presque le plus tranchant : ‘‘Tout condamné à mort aura la tête tranchée’’. » 

CQFD. Petit indice ironique dissimulé au cœur du texte, en attendant un herméneute minutieux et perspicace. Que voici venu. Merci à lui.

            Photo prise sur le site (en lien) du blog de Vincent Josse.

dimanche, septembre 23 2012

Emmanuelle Guattari - La Petite Borde

J’ai entendu Emmanuelle Guattari à l’émission de Colette Fellous Carnet Nomade. Elle y évoquait d’une voix menue mais fervente le livre qu’elle vient de publier au Mercure de France, La Petite Borde, où elle évoque ses souvenirs d’enfance à La Borde, la « résidence psychiatrique » ouverte où elle a grandi, elle, la fille de Félix Guattari, philosophe et psychanalyste, compagnon du psychiatre Jean Oury dans cette aventure thérapeutique singulière. Je l’ai écoutée raconter ses souvenirs d’enfance parmi les « pensionnaires », comme ceux de « la chauffe » qui transportaient des grappes d’enfants en 2CV cahotante jusqu’à l’école, avec, je dois le dire, la nostalgie d’un temps où la sécurité ne dévorait pas la vie, et où régnait une forme d’humanisme généreux et inventif  dont je me sens moi-même le fruit, et dont le monde d’aujourd’hui semble avoir fait litière. D’où l’intérêt du récit d’Emmanuelle Guattari, né d’une requête de la garderie de La Borde, menacée de fermeture administrative et qui réclamait des témoignages d’anciens.
Je dois dire que j’ai préféré la tradition orale telle que contée à la radio au texte publié. Dans un souci infiniment respectable de retenue, l’autrice a limité ses récits à des éclats d’enfance, sur le mode de l’allusion et du suspens. L’expérience y perd un peu de chair, parfois même de clarté. Et puis, pourquoi ce mot de « roman » pour un texte qui relève si manifestement de l’autobiographie ? Il n’en reste pas moins un joli petit livre sobre dans sa forme matérielle, et qui touche par la justesse de son ton, et le mélancolique tissage qui le constitue de joies et de chagrins.

dimanche, septembre 2 2012

La voix de Serge Joncour

Serge Joncour, c’est d’abord une voix. Et même une voix et une diction : une voix un peu voilée, un peu blanche, avec des aigus gouailleurs, une diction bègue, trébuchante, ponctuée de silences brefs, et des salves de pitreries verbales irrésistibles. C’est une star des Papous, Joncour. Aux publiques, il fait rire les salles aux éclats. La première fois où je l’ai vu, c’était à la SCAM, pour un hommage à Bertrand Jérôme, avec Bertrand et ses copains papous. Un immense type rouquin, plus ou moins rasé, l’air d’un Flamand (le peuple, pas l’oiseau), dépliant sa haute et gauche stature en même temps qu’Hélène Delavault, autre grande rouquine, pour aller lire son texte. Aux Papous, l’une de ses spécialités, c’est Les Grands airs des aires de repos, un jeu d’étymologie loufoque des aires d’autoroute, suivi d’une chanson. Et le jour des funérailles de Bertrand, il a lu un texte chaleureux dont je me souviens qu’il traitait de l’aire de repos « Repos ». Avec ses airs de ne pas être là, ou d’idiot à la Bourvil, il a quelque chose de profondément amical. Je l’aime beaucoup, et pourtant, je n’ai jamais lu aucun de ses livres. J’avais commencé Combien de fois je t’aime, un recueil de nouvelles qui me plaisaient bien, et puis il s’est égaré en voyage, et je ne l’ai ni repris ni retrouvé.

Et voilà qu’il est passé chez Rebecca Manzoni  ce matin (MERCI ! quelle bonne idée!), à l’occasion de son nouveau roman, L’Amour sans le faire, et de la sortie de Superstar, le film inspiré de son roman L’Idole, qui est sélectionné pour la Mostra de Venise - ce qui lui posait un problème de costume (comme je le comprends !). C’est drôle, ils n’ont pas parlé des Papous. Mais de lit à faire le matin et de Marguerite Duras, de Dewaere, de Ricoré, des enfants et des adultes, et de la bonne position pour écrire, question éminemment papoue. Du métier d’écrivain, avec ses poussées d’inspiration et le long labeur qui les relie. Des voix que l’on entend en soi pour ses personnages. Ça m’a donné envie de retrouver mon petit recueil, et d’essayer L’Amour sans le faire. Les deux titres s’emboîtent, et tous deux sont réussis. Et au moins, ça me fera aborder la « rentrée littéraire » en territoire ami.

En haut : L'hommage de Patrick Gromy pour les vingt ans des Papous en 2004.
En bas : Les Papous au salut, au Quai des Rêves de Lamballe en novembre 2011, photo ©Raphaëlle Rivière pour Radio France, prise sur le site des Papous. S. J. c'est le grand barbu tout de traviole, à côté de Françoise Treussart.

vendredi, août 17 2012

'Ecouter' un livre : Enfance de Nathalie Sarraute

Puis-je désormais dire que j’ai « lu » Enfance de Nathalie Sarraute ? C’est le problème avec les livres audio : on les a écoutés, on ne les a pas lus. J’ai déjà éprouvé ce sentiment inconfortable à l’écoute – j’allais écrire la lecture – de Lettre à une inconnue  de Zweig, que donc, je n’ai pas « lu ».
En tout cas, il y avait longtemps que j’éprouvais quelque honte de ne toujours pas avoir surmonté un ennui sans doute passager pour aborder entièrement Enfance. Un long voyage a donc permis l’écoute des 3 CD du livre audio où Béatrice Agenin et Francine Berger prêtent leurs voix aux deux Nathalie Sarraute : la « nouvelle-romancière » détachée de toute subjectivité et l’autrice très âgée en proie au désir de revenir sur ses années d’enfance, un comble du retour à soi. J’en connaissais des pages entières – peu, en somme – de celles qui sont devenues des classiques de la littérature-autobiographique-à-l’école, en particulier, précisément, le dialogue liminaire qui oppose les deux voix de la romancière. Je l’ai écouté avec plaisir, mais non parfois sans un certain agacement. A cause, d’abord, du ton trop doctoral, de la diction trop distillée, de la voix principale. Elle exalte le texte, au détriment sans doute d’un certain naturel, même si elle ne s’interdit nullement, au contraire, d’en transmettre les émotions vives. A cause, ensuite, des intermèdes musicaux, toujours trop longs, au point non plus d’accompagner le texte, mais de l’éteindre sous un commentaire redondant, allègre après les passages joyeux, discordant dans les moments douloureux, j’en attendais la fin avec impatience, pour que reviennent les mots. Après vérification, il ne s’agit pas d’une musique originale, mais de brefs morceaux de divers compositeurs contemporains. Je conçois que l’on n’ait pas voulu les interrompre. Leur atmosphère colle judicieusement à celle du texte. Mais le respect de la musique se fait, je le redis, au détriment du texte, qui a été coupé !  Peut-être faudrait-il composer pour les livres audio des musiques originales ? ce serait plus cher, sans doute, mais tellement plus juste !

Beau texte, indéniablement, par moments peut-être un peu complaisant dans sa quête de la vérité des infimes mouvements de l’âme de Natacha enfant.

Lire la suite...

dimanche, août 12 2012

Cendrars vespéral

En ce moment même, la voix aiguë de Blaise Cendrars, un peu nasillarde, avec des roulements et des traînements suisses, lit la première laisse de La Prose sur France Culture. C'est émouvant.

samedi, août 11 2012

L’Homme hermétique, de Lionel-Edouard Martin

L’Homme hermétique, c’est l’histoire de Paul, telle qu’elle émerge de la polyphonie des débuts, des scènes de famille où les prénoms des uns et des autres (évoqués dans un  dramatis personae  initial incongru à l’orée d’un « roman ») sont comme des éclaboussures qui masqueraient le point central. C’est donc l’histoire de Paul, rejeton d’une famille de diabétiques, dévoré par le sucre dans son corps. La chronique d’un corps qui se défait, le corps lourd d’un homme qui « boit », qui stagne, et qui, toujours, se tait, pendant que l’écriture du « je », l’un des membres de la famille, essaie de saisir – avec une grande force d’évocation et cette belle langue charnue, nerveuse, incantée – la vie de l’homme au cœur de ce silence.

Un seul reproche, peut-être, que les mots et le rythme des voix du chœur familial soient trop proches - plus assez patois, mais trop français lettré – de ceux du narrateur. Pour le reste, il ne se passe rien ici encore, que la mort lente de Paul, autrefois maçon, puis menuisier, au fil des ans, de l’oisiveté, du corps pesant et du silence. Avec au début, cet étrange prélude qui observe un adolescent sans regard encapuchonné dans un sweat et les écouteurs d’un ipod ( ?), fendre la foule urbaine d’un seul élan indifférent. De l’ado d’aujourd’hui au Paul d’autrefois, de la fureur vive à l’affaissement dépressif, même hermétisme à l’autre, comme une image de l’homme contemporain que, par ses mots, l’auteur tenterait de retisser à la toile commune ?

J’ai emprunté ces deux livres de Lionel-Edouard Martin à la bibliothèque, après avoir découvert au hasard d’une errance sur la toile en quête de références aux Saisons de Maurice Pons - dont j’ai vu qu’elles avaient été rééditées - sur le site de Marc Villemain, un éloge appuyé et une interview chaleureuse, intéressante, littéraire de L. E. Martin. Il n’y avait que ces deux textes-là à la bibli, pas d’Anaïs ou les gravières, dont il était fait un éloge convaincu. Je cherchais dans la jungle des lettres autre chose que les auteurs de « bonnes feuilles » (cette antiphrase !) évoqués il y a peu, que les publieurs-d’un-bouquin-à-l’année ou tous les deux ans dont les noms reviennent régulièrement aux diverses rentrées littéraires. Lionel-Edouard Martin n’est pas un enfanteur de vastes histoires romanesques au souffle d’épopée. Mais c’est un amoureux des gens, des lieux, des langues, et sa musique discrète, déliée, délicate sans mièvrerie aucune, mérite qu’on la lise et qu’on l’écoute.

« J’écris pour ça, pour l’archéologie de la parole, celle qui doit bien, aux ébréchures, laisser filtrer un peu de matière occulte, puisque évoquer Paul et les autres, aller dans cette histoire, les rétablir dans l’existence, non pas comme ils furent mais comme les mots les concrétisent, les font passer de l’ombre au personnage, leur rendent un corps de souffle expiré par ma voix .»

vendredi, août 10 2012

Lionel-Edouard Martin - Deuil à Chailly

Par un été caniculaire, la mort du vieil oncle Ernest est à l’origine d’une méditation sur la mémoire des familles, des villages, des terroirs, et sur l’effacement des êtres et des choses. Évocation vivace et expressive d’un univers à la fois intime et collectif – en Poitou roman, au bord de la Gartempe - dans une langue charnue, riche, sinueuse, à la fois populaire et savante.

Moins d'une centaine de pages, chez Arléa.

mardi, juillet 31 2012

Eté balzacien ?

Je renoue aujourd’hui avec Convolvulus, qui a connu ces derniers jours une assez longue éclipse, due à une panne. Que mes lecteurs veuillent bien m’en excuser.

Est-ce l’été ? plutôt une sorte d’antichambre de l’automne, avec prunes en train de mûrir, et poires, mais guère de pommes et pas l’ombre d’un coing. Il y en avait plein les arbres dans le Tarn, riche en cognassiers de bornage, où la chaleur était intense, et les fleurs des champs nombreuses, que, las !,  je ne pus photographier, mon appareil est en réparation.

Le mois d’août est devant vous. Vous le passez dans la moitié nord de la France, où la Manche est à 14 degrés, où les étés sont « tièdes voire frais ». Le ciel est gris, le temps venteux. Le soleil se lève à 7h du soir et se couche deux heures plus tard. Ne vous laissez pas décourager, et lisez Balzac ! et si les grands romans et les prétendues descriptions interminables vous effraient, plongez dans les brefs romans et les nouvelles. Les Etudes Philosophiques ne sont pas mes préférées, il y a souvent en elles quelque chose d’explicitement démonstratif, encore que j’aie déjà fait ici l’éloge sans réserve d’El Verdugo. Mais j’ai lu cet après-midi Melmoth réconcilié, conte ‘fantastique’ dont l’incipit ironique, consacré à l’ « espèce hybride » du caissier, « que l’on ne peut reproduire ni par semis ni par bouture », « arrosé par les idées religieuses, maintenu par la guillotine, ébranché par le vice, et qui pousse à un troisième étage entre une femme estimable et des enfants ennuyeux »  laisse d’emblée supposer la dimension parodique. Car si Balzac a emprunté à l’Irlandais Maturin le personnage de John Melmoth, l’Anglais inquiétant qui surgit devant la caisse de Castanier occupé à préparer sa première et ultime escroquerie, le sort de son pouvoir surnaturel, transmis au caissier indélicat car amoureux, puis progressivement dévalué par diverses transactions en bourse, prête à sourire, voire à pouffer.

Lire la suite...

- page 2 de 9 -